« C’est proprement avoir les yeux fermés sans tâcher jamais de les ouvrir que de vivre sans philosopher » écrivait Descartes. Pourtant, certains « philosophes » de nos jours se contentent simplement de généraliser des préjugés les yeux fermés sans jamais tâcher de poser de questionnements, à la base même de la discipline qu’ils revendiquent sans pour autant la maitriser.
La tribune de la philosophe Razika Adnani sur le « confinement islamique » reste évasive et surtout peu convaincante pour un lecteur un tantinet instruit sur les préceptes islamiques. Selon elle, les sociétés musulmanes ancestrales ont perpétué une habitude sociale ancestrale de confiner les femmes musulmanes en les encourageant à ne jamais franchir le pas de la porte sauf en cas d’extrême nécessité. Elle admet cependant que les femmes musulmanes s’instruisent, vont à l’université et même parfois faire quelques courses, mais restent, sinon, le reste du temps confinées chez elle. Razika Adnani prend pour principal exemple le cas des quartiers d’Alger dans lesquels les femmes sont invisibles dans l’espace publique. Le coupable principal de ce « confinement islamique » réservé aux femmes est selon elle, le Coran, cité de manière complètement aléatoire.
Une « habitude sociale ancestrale » islamique ?
Selon Razika Adnani, ce « confinement » est islamique puisque ce sont des hommes qui l’ont imposé en s’appuyant sur le Coran. En guise d’argument d’autorité, elle cite simplement une partie d’un verset du Coran (Sourate 33, verset 33) sans prendre la peine de préciser qu’il s’agit de versets destinés avant tout aux épouses du Prophète visant à les protéger et les purifier spirituellement. En effet, dû à leur statut de femmes du Prophète, elles constituaient un véritable modèle spirituel pour les croyants et croyantes sans distinction de genre :
« O épouses du Prophète, vous n’êtes pas comme les autres femmes, pourvu que vous soyez pieuses. Alors, ne parlez pas d’une voix trop douce, afin que celui dans le cœur de qui est une maladie, ne se sente tenté ; et prononcez des paroles décentes ;
Restez avec dignité dans vos maisons, et ne faites pas étalage de vous même, comme l’étalage des jours d’ignorance d’autrefois, et observez la Prière et payez la Zakat, et obéissez à Allah et au Messager. Assurément Allah désire enlever de vous toute impureté, ô Membres de la Famille du Prophète, et vous purifier entièrement »
Les épouses du Prophète étaient d’ailleurs souvent visitées pour des questionnements d’ordre religieux sur la jurisprudence islamique, ce qui explique également les injonctions de ces versets visant à établir la nécessité de leur accessibilité. L’appel à adopter un discours décent démontre également que les épouses du prophète n’étaient pas simplement visitées par des femmes mais aussi des hommes et détenaient ainsi une autorité religieuse égale à celle des hommes.
La deuxième partie du verset appelle à la même injonction et mode de conduite pour les membres de la famille du Prophète et de ce fait, déconstruit l’argumentaire de Madame Adnani selon lequel l’islam appelle au confinement des femmes.
L’enfermement des femmes dans les sociétés patriarcales est-il islamique ?
Si l’argumentaire est erroné, le constat de Madame Adnani n’est pas tout à fait faux. Dans certaines sociétés dites islamiques, les femmes sont exclues de l’espace publique. Or, attribuer ce constat à l’islam est un raccourci intellectuel et ne sied pas à quiconque revendiquant pratiquer de la philosophie.
L’islam n’appelle pas à l’enfermement des femmes, au contraire, il invite les croyants et les croyantes à s’instruire. Les femmes s’instruisent premièrement pour pouvoir éduquer la génération d’enfants correctement et deuxièmement pour être à même d’exercer un métier en cas de besoin ou d’envie. Pour cela, elles sont encouragées à sortir.
L’idée de l’enfermement prôné par l’islam ne fait pas sens dans la mesure où les femmes musulmanes sont appelées à porter le voile (24 :30). Le débat ici n’est pas de savoir s’il s’agit d’un voile intégral ou pas – cela dépend de l’interprétation que certains en feront. Par principe, les femmes musulmanes font partie de l’espace publique et sont appelées à l’occuper puisque avant même d’appeler les femmes à se couvrir la tête, le Coran exhorte aux hommes de restreindre leurs regards et préserver leurs pulsions sexuelles (24 :31). Si l’islam prônait un effacement des femmes de l’espace publique et l’absence de l’interaction sociale entre les deux sexes, l’injonction du voile n’existerait pas.
Madame Adnani change d’ailleurs constamment d’objet d’étude. Elle commence par les sociétés musulmanes pour finir sur les femmes musulmanes en France (!). Si certaines sociétés dites islamiques ont établi des normes patriarcales en interprétant des sources islamiques à leur avantage en citant des versets de façon aléatoire (un peu comme Madame Adnani), l’islam n’est pas à blâmer.
Les femmes sont libres de porter un voile, un voile intégral ou pas
L’islam n’appelle ni au confinement des femmes, ni à leur enfermement. La philosophie du voile islamique transcende la question du genre et, dans le courant islamique du moins, ne se comprends pas à travers la relation de la femme à l’homme. Il s’agit d’une injonction avant tout spirituelle, destiné à l’homme croyant avant la femme croyante dans un désir et but commun de les éloigner de toutes impuretés – physiques ou psychologiques.
L’interaction des deux sexes est évidente. Si certaines sociétés dites musulmanes responsabilisent, à tort, uniquement la femme pour la préservation d’une société saine à travers l’imposition du voile, l’islam adopte une démarche plus égalitaire.
En effet, la préservation d’une société pure dans l’islam ne passe pas simplement par le voile des femmes, mais surtout par le regard des hommes.
Cependant, les femmes musulmanes n’ont surtout pas besoin d’être dictées sur la façon dont elles choisissent de s’habiller. Laissons leur la liberté de se voiler, intégralement ou pas et/ou de ne pas se voiler. En imposant une interprétation spécifique au voile islamique et réduisant le choix de millions de femmes à un argumentaire erroné et fictif, Madame Adnani se range aux côtés de ceux qui l’imposent.
A propos de l’auteure : Musulmane et Française, Mahrukh Arif-Tayyeb vit actuellement au Royaume-Uni. Elle est titulaire d’une maîtrise de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales de Paris. Elle a auparavant travaillé comme journaliste pour un journal français.